Après la lecture d’En compagnie des ours (douze histoires en attendant le printemps), Corentin, un lecteur de cinq ans, me demande si j’envisage d’écrire douze histoires de lapins. À vrai dire, non, ce n’est pas un projet dans l’immédiat. Mais qui sait ? En fait, j’ai plutôt envie d’histoires de chats. Il y en a deux qui rôdent par chez moi, avec des airs de grizzli. Affaire à suivre…
En attendant, voici une treizième histoire en attendant le printemps, avec un ours et un lapin. Elle ne figure pas dans le recueil En compagnie des ours, paru le mois dernier, je la ressors de mon cahier de brouillon. Avec, donc, une spéciale dédicace pour Corentin… L’histoire de l’ours qui fit voler un lapin…
Il était une fois un ours, Achille, qui faisait du cerf-volant. Au sommet de la montagne, là où le vent souffle fort, il déroulait des kilomètres de ficelle pour regarder flotter son engin plus haut que les nuages.
Achille était devenu expert en cerf-volant. Avec le temps, sa grotte était devenue un véritable atelier de confection de cerf-volants. Achille avait les outils et les matériaux pour fabriquer les plus beaux cerf-volants du monde entier. Les plus beaux et les plus résistants.
Bien sûr, comme tout amateur de cerf-volant, Achille avait un rêve secret. Flotter là-haut, à la place de ses engins. Achille aurait adoré voler, rien qu’une fois. Mais il savait que c’était impossible. Achille pesait 512 kilos. Jamais il ne réussirait à réaliser un cerf-volant capable de faire décoller un tel poids jusque là-haut.
C’est alors qu’il sentit des chatouillis sous ses pieds. Un animal était en train de pointer son museau à l’air libre. Un lapin.
– Ah… le remplaçant du facteur !
C’était en effet le remplaçant du facteur. Chaque fois que Ralph, la taupe chargée de distribuer le courrier dans la montagne et partout ailleurs, partait en vacances, c’est un lapin prénommé Splash qui le remplaçait. Sous terre, il était aussi à l’aise que Ralph pour circuler dans les galeries.
– Salut ! fit Achille. Du courrier pour moi ?
Splash salua tout en sortant de sa besace un petit paquet en forme de cube. Achille l’examina de près.
– Marc-Antoine, lut-il sur l’étiquette. Désolé, mais ce paquet n’est pas pour moi, je m’appelle Achille et je suis un ours. Marc-Antoine est un gypaète barbu…
– Un quoi ? demanda Splash.
– Un gypaète barbu, répéta Achille. C’est un oiseau. Il vit de l’autre côté de la vallée.
Splash bredouilla des excuses. Il n’était pas aussi myope que Ralph, le vrai facteur, mais un peu tête en l’air, d’où de fréquentes erreurs dans l’acheminement du courrier. Confus, Splash s’apprêtait à replonger dans son terrier, mais Achille le rattrapa bien vite.
– Minute, papillon ! s’écria t-il en le retenant dans son poing.
– Je ne suis pas un papillon, corrigea Splash. Je suis un lapin.
– Un lapin avec un nom bien curieux, fit remarquer Achille. Pourquoi Splash ?
– Aucune idée, répondit le lapin.
– Pourquoi pas Badaboum ?
– Pourquoi pas, concéda le lapin.
– Tu préfères Splash ou Badaboum ? demanda Achille.
– Ça m’est égal, répondit le lapin.
– Les deux te vont bien, sourit Achille. Écoute, Badaboum, j’aimerais faire une expérience avec toi…
– Quel genre d’expérience ? s’inquiéta le lapin en fronçant les sourcils.
Achille ouvrit les bras comme si c’était des ailes. Et d’un hochement de tête il désigna le ciel.
– Je voudrais te faire voler. Je voudrais être le premier ours à faire voler un lapin.
– Voler ? s’étonna le lapin. Je n’ai pas le temps. J’ai du courrier à distribuer…
– Justement, répondit Achille. En volant, tu pourrais distribuer ton courrier bien plus vite.
– Tu crois ?
– C’est évident. Par exemple, ce colis qui est adressé à Marc-Antoine, le gypaète barbu, en cinq minutes tu peux le lui déposer dans son nid.
– Et comment ?
C’est ainsi qu’Achille devint le premier ours à faire voler un lapin. Vite fait bien fait, il confectionna un cerf-volant spécial. Avec un harnais pour la sécurité. Quelque chose de léger et de solide. Il accrocha le lapin, fit s’envoler son cerf-volant, et hop !
Splash (ou Badaboum ?) découvrit la montagne vue du ciel.
– Que le monde est grand ! s’exclama t-il.
Il ressentit un doux vertige en profitant du spectacle.
– Je plane !
Le lapin plana sept minutes et dix-huit secondes exactement. Le temps de survoler le nid de Marc-Antoine, le gypaète barbu, de lui balancer son petit paquet en forme de cube, puis tout s’accéléra.
À la dix-neuvième seconde de la septième minute de ce vol historique, une bretelle du harnais de sécurité lâcha…
Le lapin bascula.
Le cerf-volant partit en vrille.
En chute libre.
Une chute qui dura quand même seize secondes, et à laquelle Achille assista depuis le sommet de sa montagne, sans réussir à contrôler quoi que ce soit.
– Un cerf-volant de perdu, se lamenta l’ours.
Mais Achille était surtout contrarié et inquiet pour le lapin. Celui qui s’appelait Splash, ou Badaboum. Parce qu’en étudiant rapidement la trajectoire de sa chute, on pouvait prévoir deux issues possibles. Soit le lapin allait tomber dans la rivière, et dans ce cas ça ferait un grand Splash. Soit il allait tomber à côté, sur le gravier ou la roche, et dans ce cas ça ferait un grand Badaboum.
– Tout compte fait, réalisa Achille, Splash et Badaboum sont deux noms qui vont parfaitement à ce lapin, mais je crois que Splash lui convient un peu mieux. Non ?
Et avant de ramasser tout son matériel, avant de rentrer dormir dans sa grotte pour tout l’hiver, il hurla :
– SPLASH !!!
Du plus profond de la vallée, un grand Splash lui répondit en écho.
Excellent ! Quelle chute.
C’est un vrai plaisir de te lire.
J’aimeJ’aime
Alex. Merci pour cette histoire avec un lapin!
Moi aussi -je trouve- que Splash lui va mieux à ce lapin.
Et au fait, je voulais te dire que moi, je l’avais rencontré Marc-Antoine, le gypaète barbu dans les gorges du Tarn! Et peut-être qui sait, je suis passé -sans le savoir- devant la grotte d’Achille.
J’ai hâte de lire tes histoires de chats. Et même une histoire avec un ours, un lapin et un chat…
🙂
merci encore,
Le Corentin de la dédicace.
J’aimeJ’aime